La fraude dans le miel
Lors de la journée d’Automne du 25 novembre 2023, nous avons eu la chance d’accueillir Etienne Bruneau, ingénieur agronome et formateur en apiculture, fondateur et plusieurs décennies administrateur du CARI (Centre Apicole belge) et rédacteur en chef de la revue Abeilles et Cie. Il est très impliqué au niveau européen (vice-président du groupe « miel » au COPA-COGECA) et mondial (APIMONDIA). Il est aussi actif dans la commission ISO.
Le sujet de sa première conférence du matin étaient « Les outils européens pour faire face à l’adultération des miels qui mine notre apiculture : état de la question ».
L’adultération du miel n’est pas récente, cela existe depuis de nombreuses années mais avant il n’y avait pas de preuve.
Tout d’abord, il est important de rappeler que la commercialisation du miel est régie par une législation de l’union Européenne qui précise que le miel doit être produit par les abeilles Apis mellifera. Cette définition a l’avantage d’être claire et précise, à la différence d’autres produits apicoles.
Si on analyse le marché international du miel, un tiers des volumes de miel sont exportés (Argentine, Brésil) et la plupart vers l’Europe. Les pays les plus exportateurs de miel vers l’Europe sont la Chine, l’Ukraine, l’Argentine, le Mexique et la Turquie. Le plus gros pays importateur est le Japon.
En France, la situation apicole actuelle n’est pas rassurante et même jugée catastrophique : 13 % de chute de vente de miels. Les raisons ? Le miel est un produit cher qui a perdu la confiance du consommateur. Il y a en parallèle une perte du pouvoir d’achat et donc une diminution de la consommation. Le marché devient tendu avec une compétition féroce directe avec les miels importés ! Cela entraîne une diminution des ventes, un stock de miel non vendu qui augmente. Cette situation provoque des gros problèmes de trésorerie et une réduction constante des prix des miels en Europe. A terme, il est prévu une réduction d’un tiers des ruches dans l’Union Européenne.
Il est difficile d’être compétitif par rapport au prix d’un miel chinois au prix de 1.40 euros/kg comparé à un prix moyen de miel « européen » de 2.80 euros/kg. Les chutes des prix sont directement liées à l’apport massif de miels adultérés sur le marché.
Nous importons du miel : 40 % d’import sur le marché européen et dans les 40 % annoncés, il y a de la fraude. Les outils mis en place pour lutter contre la fraude sont gérés par une base légale européenne et l’intervention de plusieurs organismes comme l’OLAF (Office européen de Lutte AntiFraude), la Direction Générale de la Santé et le Centre Communautaire de Recherche (C.C.R.). Il faut savoir qu’en Chine et qu’en Inde, la fraude n’existe pas !
Quatre éléments doivent être réunis pour avoir un cas de fraude selon la Commission Européenne : une violation des règles (dans ce cas la définition du Codex Alimentarius sur le miel), une intention, une tromperie du client et un gain économique.
Il existe différents types de fraudes comme l’ajout de sirop de sucres dans les miels, une absence de conformité à la définition du miel due à une récolte de miel non mature (> à 25 % d’humidité), une alimentation artificielle des abeilles en période de miellée en vue d’augmenter la récolte, une utilisation de résines échangeuses d’ions pour éliminer les éléments indésirables et éclaircir la couleur du miel, un ajout intentionnel d’éléments pour masquer l’adultération ou la dégradation du miel, un retrait intentionnel de pollen ou ajout de miel microfiltré pour rendre l’analyse palynologique (analyse des pollens) inopérante.
Il existe aussi d’autres fraudes comme le masquage et/ou l’étiquetage erroné de l’origine géographique et / ou botanique du miel.
Dans tous les cas, le produit final ne doit pas s’appeler miel.
Au début des années 1990, l’adultération du miel était liée à l’ajout de sucre (saccharose) dans les miels mais maintenant, les fraudeurs utilisent d’autres méthodes très perfectionnées et sophistiquées avec l’ajout de sirops proches de la composition en sucres des miels à des prix très bas (prix moyen de 0.4 à 0.8 euros/kg). Les sucres qui sont utilisés pour la fraude ont différentes origines, il existe des voies de production de sirops de sucre très variées : sirop de riz, de blé, de manioc de sucre de betterave (groupe de sirops de sucre de carbone C3, façon dont les plantes fixe le carbone) et sirop de maïs et de sucre de canne (groupe de sirops de sucre de carbone en C4). Par contre, cette fraude avec l’ajout de ces sucres est détectable car ce procédé laisse des marqueurs, des enzymes artificielles (alfa, béta ou gamma amylases) qui ne sont pas présents dans les miels et qui le sont dans des sucres exogènes. D’autres produits sont aussi retrouvés comme les DFAs dans les sirops HFCS (High Fructose Corn Syrup) et des AFGP dans les sirops de riz.
Les méthodes utilisées pour la détection de cette adultération avec les sirops dans les laboratoires sont des tests avec des marqueurs spécifiques liés à l’origine botanique des sucres ajoutés (Psicose 2018, Marqueur riz, Marqueur betterave,…) ou bien des analyses non ciblées « screening ».
Malheureusement, la méthode officielle reconnue par de nombreuses autorités nationales, la méthode AOAC 998.12 «Internal Standard Stable Carbon Isotope Ratio» ne peut détecter de manière fiable les groupes de Carbone C3 (par rapport au groupe de Carbone C4) et les fraudeurs utilisent préférentiellement les sirops d’origine C3 car non détectable (ou bien le pourcentage doit être supérieur à 20 %). Ils utilisent aussi maintenant des sirops de sucre qui sont « modifiés » de manière à ce qu’ils ne puissent pas être détectés par les tests de laboratoire.
Le paradoxe est que l’apiculteur non fraudeur peut utiliser sans le savoir des sirops de nourrissement avec éventuellement des C3 qui seront détectables dans le miel par les laboratoires ! Il faut donc rester vigilent et éviter tout risque de contamination de nos miels !
Différentes techniques chromatographiques de plus en plus sophistiquées ont ainsi été développées au fil du temps : chromatographie en couche mince, chromatographie en phase gazeuse couplée à un spectromètre de masse. D’autres méthodes nouvelles comme la RMN du proton (Résonance Magnétique Nucléaire – H) complètent les méthodes analytiques de détection de cette adultération et cette méthode est très performante pour détecter les différents types de fraudes dans les miels et de surveiller la pureté du miel, son origine botanique et géographique. Cette méthode est rapide et facile à utiliser. Elle détecte les carbones C3, C4 et MPA et des nombreux marqueurs en une seule fois.
Il est important par contre de préciser qu’une seule méthode seule ne permet pas de démontrer l’adultération du miel et il faut cibler ce que l’on recherche.
Les conséquences : en 2014, le miel est cité comme un produit à haut risque d’adultération et une lutte se met en place par le COPA-COGECA. De 2015 à 2017, la Commission Européenne a mis en place un plan d’échantillonnage et de contrôle des miels sur le marché par les Etats membres pour étudier l’adultération des miels. Il en est ressorti que 14% des échantillons analysés ne correspondaient pas à la définition du miel.
En 2022, une nouvelle campagne d’analyse des miels (4 méthodes analytiques ont été utilisées) est mise en place par 16 Etats Membres. Ces derniers ont procédé à un échantillonnage aléatoire de 320 échantillons prélevés aux frontières de l’Union Européenne. 147 échantillons ont été déclarés non conformes aux exigences de la Directive Miel et suspect d’adultération c’est-à-dire 46 %. Les contrôles ont été réalisés sur 123 importateurs de miel de L’Union Européenne et 70 ont été signalés positifs pour falsification avec des sucres étrangers. Suite à cette campagne, 7 ont été sanctionnés (on ne peut pas sanctionner sur des critères analytiques).
Pour lutter contre la fraude efficacement, il est important de mettre en place une approche et une méthodologie scientifique plus sophistiquée, de mettre en place un protocole commun entre les laboratoires privés et nationaux. Il est en effet important de s‘entendre sur une validation des dernière techniques de détection à utiliser pour le dépistage. Un effort doit aussi se porter sur la constitution d’une banque de miels.
Au niveau des lois, il faudrait une modification de la Directive 2001/110 (revu en 2016) et réviser la « Directive Miel » afin de pouvoir revoir l’étiquetage des pots de miels. Un effort doit se porter sur la constitution d’une banque de miels
Le principal Objectif est aussi de mieux informer les consommateurs.
Les demandes actuelles pour lutter contre la fraude sont les suivantes :
- Réaliser des contrôles nationaux, locaux,
- Mettre en place une meilleure traçabilité des contrôles aux frontières qui intègrent la vérification du miel.
- Mettre en place « des listes noires »,
- Réaliser une traçabilité blockchain (exemple du miel Argentin), permettant la garantie d’une traçabilité transparente depuis la création jusqu’aux consommateurs,
- Ne plus autoriser des miels filtrés,
- Interdire la déshydratation sous vide d’air,
- Autoriser l’identification des miels non chauffés,
- Réaliser des campagnes des députations permanentes et parlementaires.
Retranscription par Géraldine SCHNEIDER et Olivier FLEURY
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